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(CP) Changement d’état civil : Un décret catastrophique pour la filiation trans

Communiqué de presse du 3 avril 2017


Après la publication de la loi de modernisation de la justice du XXIème siècle du 18 novembre 2016 qui réforme, entre autre, le changement d’état civil (CEC) pour les personnes trans, le décret d’application pour le CEC était très attendu. Le Gouvernement publie finalement ce décret le 31 mars 2017 lors du Transgender Day Of Visibility, tel un beau pied de nez pour la filiation trans.

Si, sur la partie du changement d’état civil des personnes trans, le décret ne réserve pas de mauvaise surprise bien que nous puissions nous interroger sur la nécessité de laisser les « voies de recours […] ouvertes » au ministère public, en revanche sur la partie concernant l’édition d’un nouveau livret de famille, suite à un changement d’état civil, c’est catastrophique.

Une lecture plus précise de l’article 5 du décret pour demander un nouveau livret de famille suite à la modification de la mention du sexe à l’état civil nous apprend qu’un nouveau livret de famille ne peut être délivré que si les actes de l’état civil des tiers ont été modifiés. La rédaction ayant été modifiée par rapport au projet initial du décret, il n’est pas évident de se rendre compte de cette obligation que nous développons ci-dessous.

L’article 5 du décret ajoute un article 16-1 au décret du 15 mai 1974 : « Sur demande d’un des époux ou d’un des parents, un nouveau livret de famille est délivré, contre remise du précédent, à la suite d’une décision de changement de la mention du sexe à l’état civil ayant entraîné la modification visée au dernier alinéa de l’article 1055-9. ». L’article 1055-9 est ainsi rédigé :

  • 1. « Art. 1055-9.-Le tribunal ordonne la modification des prénoms dans les actes de l'état civil des conjoints, et, le cas échéant, des enfants, après avoir constaté le consentement des intéressés ou de leurs représentants légaux.
  • 3. « Le bénéficiaire du changement de prénom peut également demander cette modification, postérieurement à la décision du tribunal, auprès du procureur de la République près ledit tribunal.
  • 6. « Dans tous les cas, le procureur de la République ordonne l'apposition de la modification des prénoms sur les actes concernés et transmet les pièces mentionnées à l'alinéa précédent à l'officier de l'état civil dépositaire desdits actes pour y être annexées. »


Le dernier alinéa fait référence à tous les « actes concernés ». Pour cela il faut regarder les alinéas 1 et 3. L’alinéa 1 précise que le « tribunal ordonne la modification des prénoms dans les actes de l’état civil des conjoints, et, le cas échéant, des enfants », ce sont donc les actes des tiers. L’alinéa 3 précise que « Le bénéficiaire du changement de prénom peut également demander cette modification », or, cette modification fait référence à la modification de l’alinéa 1, donc la modification des actes des tiers. Pour modifier les actes des tiers, il faut bien sûr, leurs consentements. Il persiste un flou sur combien d’actes de tiers il faut avoir fait modifier pour obtenir un nouveau livret de famille, ce qui laisser une grande marge d’interprétation. Plus la marge d’interprétation est grande et plus les personnes trans sont discriminées.

La catastrophe réside dans le fait de subordonner la délivrance d’un nouveau livret de famille - dont nous ne connaissons pas les modalités d’édition, ce sera probablement dans la circulaire à venir, espérons que le droit au respect de la vie privée des personnes trans soit respectée - à la modification des actes de l’état civil des tiers (conjoints et ou enfants).

Dans la pratique, les personnes trans qui ont eu des enfants avant leur CEC demandent très rarement à faire modifier l’acte de naissance de leurs enfants pour protéger la vie privée de leurs enfants en ne leur imposant pas un acte de naissance où figurerait en mention marginale l’existence d’un-e parent-e trans. Auparavant, comme il était parfois possible de modifier le livret de famille, il était alors possible à la famille avec un-e parent-e trans de vivre tout en conservant leur droit au respect de leur vie privée.

Sauf que maintenant, que les tiers soient consentants ou qu’ils ou elles ne le soient pas, le ou la parent-e trans fait face au dilemme suivant : soit demander à faire modifier l’acte de naissance de ses enfants et donc faire figurer pour le reste de sa vie qu’un-e de ses parent-e-s est trans mais pouvoir bénéficier d’un nouveau livret de famille corrigé - et nous ne connaissons pas encore sous quelles modalités -, soit ne pas demander à faire modifier l’acte de naissance de ses enfants et donc être dans l’impossibilité d’obtenir un nouveau livret de famille. Dans les deux cas, le ou la parent-e trans n’a plus aucune solution pour garantir son droit au respect de la vie privée. C’est ce qui se passe lorsque des théoricien-ne-s du droit écrivent des textes sans se préoccuper de la réalité de vie des personnes concernées.

En plus de la violation du droit au respect de la vie privée, nous dénonçons la discrimination flagrante entre le changement d’état civil pour les personnes trans et le changement d’état civil pour les personnes non trans, en effet, les personnes non trans peuvent faire des demandes de modification de leurs prénoms ou de leurs noms et dans ce cas, la délivrance d’un nouveau livret de famille est automatique avec ou sans consentement des tiers ! Alors que lorsqu’il s’agit des personnes trans, il faut avoir fait modifier les actes des tiers avec leurs consentements. Ce décret inscrit désormais, dans les textes de loi, une inégalité de traitement entre les personnes trans et les autres en plus d’une aberration textuelles entre les articles du décret du 15 mai 1974 qui rendent obligatoire la mise à jour des livrets de famille pour les rendre conforme aux actes de l’état civil et l’article 16-1 nouveau qui contraint cette mise à jour.

Nous demandons la modification de l’article 16-1 du décret pour ne pas subordonner la délivrance d’un nouveau livret de famille à la modification des actes de l’état civil des conjoints, et, le cas échéant, des enfants, et plus généralement à aucune condition, conformément aux autres cas de l’article 16 du décret du 15 mai 1974 pour respecter le principe d’égalité.