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Interview de Marie-Laure Peretti, Psychologue

ACTHE a réalisé pour vous une l'interview de Marie-Laure Peretti (MLP).

Docteure en psychopathologie fondamentale et psychanalyse, psychothérapeute
Sexologue
Analyse émotionnelle

MLP intervient en qualité de psychothérapeute auprès :
- De personnes concernées par une addiction
- De personnes dont la dynamique identitaire est hors-norme
- De personnes atteintes de cancer

MLP intervient en tant que superviseure auprès d’équipes qui prennent en charge des handicapés.


ACTHE : Que pouvez-vous nous dire sur les origines de la transidentité ?

MLP : Les recherches purement médicales, c’est-à-dire biologiques sont le fait principalement de l’endocrinologue européen Louis GOOREN aux Pays-Bas. Il est exact de dire que pour l’instant, aucune anomalie n’a été détectée, ni endocrinienne, ni génétique, ni hormonale. Cela ne veut pas dire qu’on ne trouvera jamais rien de physiologique dans le transsexualisme. Cela veut dire qu’aujourd’hui, on n’a rien trouvé. En ce qui concerne les recherches menées principalement par des psychanalystes ou psychothérapeutes, qu’ils soient psychiatres ou psychologues, c’est au contraire sur ce terrain qu’il y a eu le plus de découvertes, des découvertes importantes, et pas seulement outre-Atlantique.
Je vais mentionner très brièvement les découvertes des quelques chercheurs très actifs sur la question et ce, depuis les années 50.
Il y a tout d’abord en France, le psychiatre et psychanalyste Jean-Marc Alby qui, dès 1956, a fait sa thèse de médecine sur la question des origines du transsexualisme, thèse de médecine très bien documentée et dans laquelle il note la présence de traumas chez les transsexuels qu’il a rencontrés.
On ne peut pas passer sous silence les travaux de ceux que j’appelle les Genralistes Américains John Money, Robert Stoller, Leslie Lothstein dont le principal chef de file est Robert STOLLER (années 70), auteur de deux livres « Recherches sur l’identité sexuelle » et « Masculin / Féminin » et qui s’est attaché à travailler sur la question des origines du transsexualisme. Stoller est controversé chez nous en France notamment par le courant lacanien, parce qu’il a une position qui va à l’encontre de la théorie freudienne. Il développe le concept de féminité primaire inhérente à tout individu qu’il soit fille ou garçon Cette théorisation s’appuie sur la conception d’une proto-féminité qui agit comme une empreinte, alors que Freud s’inscrit dans une théorie plutôt proto-masculine (le masculin est considéré comme un état naturel). Stoller soutient que la dynamique transsexuelle survient dans un processus de « symbiose merveilleuse et aconflictuelle avec la mère » : « Trop de mère, pas assez de père ».
À nouveau en France (années 200), il y a les travaux importants du Dr Colette Chiland, psychiatre et psychanalyste et d’Agnès Oppenheimer (Docteur en psychologie clinique, psychanalyste) qui ont repéré la présence de traumas chez les transsexuels et dans leur famille, et enfin, les travaux des lacaniens H. Frignet et M. Czermak (psychiatres et psychanalystes), qui ont rangé le transsexualisme dans la catégorie « psychose », par conséquent, les sujets ne sont pas opérables.
Même si les auteurs ne sont pas exactement d’accord entre eux, ils arrivent tout de même à des conclusions similaires que nous partageons : à savoir qu’il y a une dynamique particulière dans les familles de l’enfant futur transsexuel qui va infléchir l’enfant dans le sens d’un développement psychosexuel dans le genre contraire au sexe biologique, soit le transsexualisme. On est tous d’accord sur ce point : le transsexualisme se construit dans un environnement familial bien particulier.
Nous sommes bien sur la question de l’origine du transsexualisme et des avancées dans le domaine psychologique.
En ma qualité de docteur en psychopathologie fondamentale, je vais vous parler de la recherche que j’ai menée, conduite dans le cadre de ma thèse de doctorat.
C’est à partir de trois cas cliniques très largement rapportés (un travesti, une MTF, un FTM) et de nombreuses autres personnes rencontrées, que j’ai abouti à formuler l’hypothèse d’une origine traumatique du transsexualisme, qui se construit dans la toute petite enfance, au « stade du cocon ». Le trauma originel concerne l’identité sexuelle du futur transsexuel. La famille, le père et la mère en particulier et que Stoller appelle « les conspirateurs associés », élève le bébé en l’orientant de façon consciente ou inconsciente vers le genre opposé à son sexe biologique.
Les transsexuels font l’expérience d’un « sexe contrarié », l’expression est de Collette Chiland. Le sujet mâle ne se reconnaît pas dans cette dynamique qui le conduirait à s’assumer en temps qu’homme. Il a été investi et s’est investi en tant que femme. À l’inverse pour le sujet femelle.
Dans sa famille, l’accès à un devenir homme ou femme est empêché. L’individu ne peut alors se reconnaître dans son sexe. Il ne peut pas faire avec d’où sa demande de faire coïncider son ressenti psychique avec son apparence anatomique.
Enfin, je voudrais mentionner les travaux importants, remarquables et remarqués, des Gender Studies, dont une des théoriciennes majeures est Judith Butler, de l’université de Berkeley, Californie, et qui démontre de façon magistrale dans son livre traduit en français « La vie psychique du pouvoir », que la construction du genre est de nature culturelle et non biologique. Et là, je vous le dis tout de suite, J. Butler s’est appuyée sur les travaux de M. Foucault, L. Althusser, J. Derrida, J. Lacan et S. Freud.

ACTHE : Que pensez-vous de la « dépsychiatrisation » revendiquée par les militants trans ? Que pensez-vous du diagnostic actuel de la transidentité ? Que proposeriez-vous à la place ?

MLP : Du fait de la crainte d’un risque de suicide après opération, donc d’une éventuelle poursuite voire condamnation judiciaire à l’encontre des chirurgiens, ces derniers sont particulièrement vulnérables face à ce type d’attaques font appel à leur confrère le psychiatre, se tournent vers lui.
Ils adressent une demande au psychiatre pour se protéger eux, et non le patient.
- La personne est-elle un transsexuel primaire ou secondaire ?
- Y’a-t-il une psychopathologie associée ?
En gros, cette étape par le diagnostic de transsexualisme sert à écarter tout risque de passage à l’acte.
Le psychiatre qui établit ce diagnostic est convoqué en tant qu’expert des fonctionnements mentaux d’une personne, en tant que juge. Pour ce travail, il faut trois, cinq séances au maximum.
Aujourd’hui en France, il y a obligation d’être suivi pendant au moins deux ans par un psychiatre pour obtenir ce certificat.
Il faut être clair : Dès lors qu’on impose deux ans de suivi, ce n’est plus un travail de juge, c’est un travail de psychothérapeute, de psychanalyste, où deux personnes sont en relation duelle, où aucune des deux ne sait mieux que l’autre, ou plutôt si, c’est le patient qui sait quelque chose de sa souffrance, de son être au monde, et le psychothérapeute, psychiatre ou non, fait alors partie de cette relation.
Et on ne peut pas être à la fois juge et partie.
Dans une démarche psychothérapeutique, il n’y a pas de supérieur, quelqu’un qui sait mieux que l’autre, à la différence du travail de juge, d’expert. Celui qui travaille avec des transsexuels en tant que soignant (psychothérapeute ou psychanalyste, peut aussi être psychiatre) ne peut pas et ne doit pas accepter d’être convoqué en tant que juge. C’est d’ailleurs sur ce point particulier qu’il pourrait y avoir alliance entre les psychiatres et les psychologues. A l’inverse, celui qui juge ne peut pas être celui qui travaille avec la personne. Et on peut être juge (expert) avec une personne et soignant avec une autre, on peut changer de casquette, mais pas avec la même personne.

ACTHE : Dans quelles mesures envisageriez-vous d’accorder le changement d’état civil dans le cas d’une prise en charge de la transidentité ?

MLP : La H.A.S affirme que la plupart des transgenres souhaiteraient bénéficier de la S.R.S. Précisément cela est faux.
Sur quelles données s’appuie la H.A.S. pour tenir des propos aussi affirmatifs ? Il serait souhaitable de citer les sources auxquelles on se réfère pour y voir plus clair parce que si on s’appuie sur une donnée, il est important qu’elle soit correcte et surtout vérifiable.
Je vais donc vous apporter une source personnelle, qui vient de ma propre expérience, de ma clinique.
Lors de mon activité à l’association PA.S.T.T. (Association de prévention et de lutte contre le sida auprès des transgenres), j’ai reçu 261 personnes en entretiens psychothérapeutiques dont 75% provenait du milieu prostitutionnel
Sur ces 261 personnes :
50% MTF non opérées et ne le voulaient pas
10% MFT opérées ou en cours
36% travesties
3% FTM non opérés et ne le voulaient pas
1% FTM opérés
Ces statistiques indiquent qu’il y a 89% de personnes, sur les 261 rencontrées, qui ne veulent pas et ne se feront pas opérer.
Par conséquent, il semblerait judicieux de permettre aux transsexuels un changement d’Etat civil facilité, qui n’obligerait pas la personne à se faire opérer, pas plus qu’à se faire stériliser. En effet, subordonner le changement d’Etat Civil à la S.R.S. implique qu’il n’y a pas d’autre alternative possible. Alors qu’une autre alternative possible, ce serait par exemple, le parcours psychothérapeutique. Les Américains le disent, Lothstein en tête. L’idée, c’est de ne pas opposer les offres de soin mais de les associer. Ce n’est pas l’une ou l’autre, ni l’une contre l’autre, mais l’une et l’autre, l’une à côté de l’autre, avec l’autre. Chirurgie et psychothérapie peuvent être menées de concert. Nous sommes dans un pays où les maladies physiologiques, seules, sont dignes d’intérêt. Dès qu’il est question d’affections psychiques, le patient est accusé de simuler, de ne pas y mettre du sien, de ne faire aucun effort, de se laisser aller.
Si le transsexualisme résulte d’une dynamique psychologique particulière, le risque est-il de réduire le problème à la seule dimension psychique en oubliant le corps, soit en refusant l’opération ?
Si c’est cela le risque, alors je comprends qu’il faille à tout prix ramener le transsexualisme sur une dimension physiologique.
Alors que la question ne se pose pas en ces termes. C’est comme si le physiologique autorisait toutes les interventions, y compris la S.R.S., alors que le psychologique l’interdirait, n’ayant pas atteint les lettres de noblesse du physiologique. Ce n’est pas parce que le problème est de nature psychologique qu’il faut s’interdire toute intervention sur le corps. Et l’être humain est animé par deux types de besoins, vitaux pour lui : Les besoins physiologiques (manger, boire, dormir, évacuer etc.) et les besoins psychologiques, tout aussi importants. Si les transsexuels, qui sont quand même les mieux placés pour parler en leur nom, expliquent que la chirurgie leur fait du bien, je me pose la question de savoir pourquoi on n’accepterait pas cette parole comme vraie.

ACTHE : Pouvez-vous nous présenter la psychothérapie que vous proposez aux personnes trans ?

MLP : La thérapie avec des transsexuels vise le soin de la personne, en aucun cas la guérison. Et surtout pas, par un contre-transfert peu ou pas du tout travaillé, viser à revenir vers le sexe biologique. C’est une mise en sens d’une histoire de vie, parce que ce qui fait souffrir l’être humain, c’est l’impossibilité de donner du sens non à une situation, mais à une relation. La première cause de souffrance des transsexuels étant celle d’une relation particulièrement difficile avec les autres en général.
La psychothérapie sert à donner du sens à cette relation qui fait souffrir. Elle vise l’autonomie de la personne, c’est-à-dire s’approprier sa « manière d’être au monde » dans la sérénité.
Lorsqu’on fait un travail psychothérapeutique avec des transsexuels, la question du passage à l’acte, parfois et très souvent plus difficile qu’on ne le pense, est mise entre parenthèses le temps de la psychothérapie, travail d’élaboration, métabolisation sur la personne elle-même et parfois sur l’intervention.
La particularité avec des transsexuels, c’est la question de cette chirurgie de réassignation sexuelle, qui si elle est mutilante pour certains, n’est pas du tout vécu de la même manière par d'autres, qui vivent cette chirurgie comme un accomplissement de leur genre.

ACTHE : De mémoire, combien de personnes trans avez-vous pris en charge ?

MLP : J’ai rencontré en entretien individuel environ 300 personnes trans (opérées ou non).
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Marie-Laure Peretti, Psychologue
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