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La bataille du changement d’état civil

Intervention dans le cadre des Ateliers Identités plurielles. Ces ateliers sont organisés dans le cadre du programme Trans/FEM financé par le Défi Genre de la mission interdisciplinaire du CNRS.
Le titre originel de cette intervention était : L'Etat civil à l'épreuve du genre.




Je vais vous raconter une histoire. L’histoire de militant-e-s trans et de leurs allié-e-s, mais c’est aussi l’histoire d’une société et c’est une histoire de droit. Il y a eu la bataille du mariage pour tout-e-s, il y a désormais la bataille du changement d’état civil (CEC) pour les personnes trans.

Pourquoi une telle bataille ?



La cour de cassation décide, dans un arrêt rendu le 16 décembre 1975, d’interdire la modification de la mention du sexe à l’état civil en invoquant le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes : « La cour d’Appel a décidé, à bon droit, que le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, au respect duquel l’ordre public est intéressé, interdit de prendre en considération les transformations corporelles ainsi obtenues ». La cour réaffirme sa position en 1990 et 1991 par 5 arrêts supplémentaires. La France sera ensuite condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) le 25 mars 1992 pour violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (la Convention), le « droit au respect de la vie privée et familiale ». Il y a donc un revirement de la jurisprudence de la cour de cassation qui impose désormais 4 critères pour obtenir un CEC :
  • Avoir subi un traitement médico-chirurgical dans un but thérapeutique.
  • Etre diagnostiqué du « syndrome de transsexualisme ».
  • Ne plus posséder tous les caractères de son sexe d’origine.
  • Avoir pris une apparence physique rapprochant de l’autre sexe, auquel correspond son comportement social


Il est précisé dans un deuxième arrêt, que « la réalité du syndrome transsexuel ne pouvait être établie que par une expertise judiciaire ».

Le 14 mai 2010, le garde des sceaux publie une circulaire visant à assouplir la procédure de CEC en appelant à ne pas avoir recours systématiquement aux expertises judiciaires et en précisant qu’il est possible de donner un avis favorable à un CEC « dès lors que les traitements hormonaux ayant pour effet une transformation physique ou physiologique définitive, […] ont entraîné un changement de sexe irréversible, sans exiger pour autant l’ablation des organes génitaux ». C’est dans cette logique que la cour de cassation rend 2 arrêts le 7 juin 2012 et encore 2 autres arrêts le 13 février 2013 qui ont pour but de simplifier les critères pour obtenir un CEC, les critères sont les suivants :
  • Prouver la réalité du « syndrome transsexuel ».
  • Prouver « le caractère irréversible de la transformation de son apparence ».


Notons que la procédure pour le CEC est strictement jurisprudentielle. Il n’y a ni loi ni décret qui viendrait réglementer le CEC. Pourtant ce n’est pas les tentatives pour légiférer sur la question qui manquent. En effet, dès 1981 le sénateur Henri Caillavet avait déjà une proposition de loi pour permettre le CEC alors que la jurisprudence de l’époque l’interdisait. Puis il y a eu la députée Michelle Delaunay qui a déposé une proposition de loi le 22 décembre 2011 visant à démédicaliser la procédure. Dans le projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, plusieurs amendements visant à simplifier la procédure de CEC ont été déposés en septembre 2013. Le 11 décembre 2013, la sénatrice Esther Benbassa dépose, elle aussi, une autre proposition de loi sur le CEC. Le 29 septembre 2015, les député-e-s Pascale Crozon, Erwann Binet et Michèle Delaunay déposent une proposition de loi sur le CEC. Hélas aucune de ces propositions de loi ou amendements sur le CEC n’aboutiront.

Le CEC est régit par une jurisprudence et le législateur ne parvient pas, que ce soit par le biais de propositions de loi ou d’amendements, à légiférer sur le CEC. Notons aussi que le Gouvernement, à aucun moment n’a tenté de légiférer sur cette question, que ce soit par un projet de loi ou par des amendements dans divers travaux législatif. Cela malgré la petite centaine de questions au Gouvernement posées par différent-e-s député-e-s depuis la XIème législature (1997 – 2002) et la dizaine de questions au Gouvernement posées par les sénateurs et sénatrices depuis 1979 !

Quels sont les problèmes ?



Autant sur la bataille du mariage pour tout-e-s, il n’était pas possible pour les couples de même sexe de se marier avant la loi du 17 mai 2013 alors que dans le cas du CEC, il est parfaitement possible d’obtenir une modification de la mention du sexe sur les registres de l’état civil pour les personnes trans.

Les problèmes résident dans la procédure du CEC et ses critères. Ce sont différents points de cette procédure ainsi que les critères que les militant-e-s trans contestent.

Premièrement, la jurisprudence, que ce soit celle de 1992 ou celle de 2012, exige implicitement la stérilisation de la personne requérante. C’est évidemment contraire aux droits humains, aux droits fondamentaux, au respect de l’intégrité physique de la personne, et cela a quand même des relents d’eugénisme.

Deuxièmement, il faut prouver la réalité du « syndrome de transsexualisme ». Cela se fait par l’intermédiaire d’un ou de plusieurs certificats de psychiatre. En effet, le psychiatre a le pouvoir de permettre à une personne trans de commencer un parcours de transition en attestant que la personne trans peut commencer une hormonothérapie. Le psychiatre a le pouvoir de permettre à une personne trans d’entreprendre des chirurgies en attestant que la personne trans peut entreprendre ces chirurgies, en particulier la chirurgie dite de réassignation sexuelle. Enfin le psychiatre a le pouvoir de terminer un parcours de transition - si cela le termine - en donnant son aval à la cour pour que cette dernière juge que la personne trans est bien trans et que donc, elle peut obtenir son CEC. Le psychiatre a dès lors un rôle prépondérant dans un parcours de transition et trop souvent des psychiatres ont abusé de leur position pour étudier, tels des cobayes, les personnes trans. Par exemple en leur faisant passer des tests psychologiques sans leur en restituer les résultats ou en les obligeant à se plier à leur volonté car ces psychiatres étaient à la fois le poseur de diagnostic et le thérapeute. Cela leur permettrait d’entrer dans l’intimité des personnes trans qui peuvent dès lors se sentir psychologiquement violées.

Troisièmement, il y a trop d’abus avec les expertises judiciaires. Ces expertises correspondent à une entrevue avec 3 médecins différents. Un psychiatre, un gynécologue ou urologue et un endocrinologue. Ces expertises appelées triple expertise sont bien souvent abusives. Les médecins abusent de leur position décisionnaire pour humilier les personnes trans qui ont besoin de leur aval pour obtenir un changement d’état civil. Il n’était pas rare d’entendre des témoignages de maltraitance psychologie ou même de viol. « Prouvez-moi que vous êtes un homme, faites 10 pompes » ou encore « sauter sur place », ou encore la lecture de l’ancienne carte d’identité pour bien signifier et bien faire comprendre à la personne trans quel est son sexe de naissance alors que justement cette personne est dans une démarche pour faire rectifier son état civil. La pénétration contre le consentement de la personne, c’est un viol ! Trop souvent des médecins ont abusé de leur position décisionnaire pour satisfaire leur curiosité et ainsi mesurer en détail les résultats de la chirurgie dite de réassignation sexuelle. Ceci est un viol ! La violence de ces expertises est tacitement reconnue par une des juges du tribunal de Paris qui a dit en 2009 à une requérante : « mais pourquoi vous ne voulez pas passer la triple expertise, ce n’est qu’un mauvais moment à passer, après c’est fini ».

Quatrièmement, le coût de la procédure est difficile à supporter pour des personnes qui sont bien souvent précaires, en grande partie à cause de l’inadéquation entre leur état civil et leur genre. Aux coûts des chirurgies et des divers frais médicaux, il faut ajouter à cela le coût de l’avocat-e obligatoire pour réaliser les démarches en vue d’obtenir un CEC ainsi et le coût des expertises à raison de 508€ par expert.

Cinquièmement, la durée de la procédure peut être, parfois, excessivement longue. Il n’est pas rare que des juges motivent un refus sur un dossier de CEC par : « la demande est prématurée ». Ces juges imposent sans l’écrire, soit la nécessité d’une stérilisation, soit l’obligation de divorce avant la loi du 17 mai 2013, soit un "passing" social plus important. Dans les pires cas, les juges peuvent faire en sorte de ne jamais accorder un CEC laissant ainsi des personnes trans avec des papiers d’identité qui ne leur correspondent pas à leur genre.

Sixièmement, comme le CEC est régit par une jurisprudence, les juges peuvent interpréter la jurisprudence différemment ce qui a pour effet de créer une disparité d’interprétation de la jurisprudence en fonction des juridictions. Il y a là un problème d’égalité entre les justiciables entrainant des domiciliations de complaisances afin de bénéficier d’une juridiction plus favorable.

Cette liste, non exhaustive, a le mérite de donner un bon aperçu de l’ensemble des problèmes que les personnes trans peuvent subir dans leur démarche pour obtenir un CEC. Rappelons que pour les personnes trans, ne pas avoir un état civil conforme à leur genre est source de discriminations, à l’embauche, pour le logement, pour les études et dans tous leurs domaines de vie.

La réponse associative



Le mouvement militant trans est plutôt récent. Même s’il est difficile de dater précisément le début de cette mouvance, nous pouvons considérer que le mouvement militant trans a commencé à se structurer avec la première marche Existrans en 1997, il y a 20 ans, avec l’Association du Syndrome de Benjamin (ASB). Notons à quel point l’intériorisation de la maladie mentale était prévalent même au sein du mouvement trans.

Les premières marches n’avaient pas de mot d’ordre, c’était la marche pour les personnes trans et ceux et celles qui les soutiennent. Puis la question médicale est devenue centrale, notamment avec le mot d’ordre de 2004 : « Psychiatrisation des trans = Transphobie » jusqu’en 2011 où le mouvement trans commence à dénoncer la « stérilisation » forcée pour obtenir un changement d’état civil. Dès 2009, l’association Acthe avait pour mot d’ordre : « Stop à la stérilisation forcée pour avoir des papiers ». Ce qui à l’époque avait créé un mini scandale puisque nous n’avions pas un mot d’ordre unitaire. Toutes les années suivantes jusqu’à aujourd’hui, la marche Existrans a consacré son mot d’ordre au CEC. 2012 : « Des papiers : si je veux, quand je veux ! », 2013 : « Trans, intersexes : une loi, des droits ! », 2014 : « Changement d’état-civil libre et gratuit », 2015 : « Le monde avance, la France recule » en référence aux pays tels que Malte, l’Irlande, la Norvège, l’Argentine qui adoptent des lois sur le CEC avec une procédure déclarative. Enfin 2016 avec : « 20 ans que la France (nous) piétine » en référence à la 20ème Existrans. Cette dernière marche intervient dans un contexte de réforme de la procédure du CEC et l’autodétermination pour le CEC est mise à l’honneur dans les revendications de la marche.

Un contexte international

La résolution du Parlement Européen du 12 septembre 1989 préconise déjà un CEC avec un diagnostic différentiel dans le sens de l’aide à l’autodiagnostic. Il y a une réalité, aucun médecin ou psychiatre ne sait diagnostiquer ce qu’ils appellent le « syndrome de transsexualisme ». Le 29 septembre 1989, l’Assemblée parlementaire du Conseil d l’Europe adopte une recommandation qui précise que les personnes trans doivent pouvoir avoir un état civil conforme à leur genre et que leur vie privée doit être protégée. Notons la référence à l’article 8 de la Convention. Nous sommes 3 ans avant la condamnation de la France par la CEDH. En 2007, il y a les principes de Jogjakarta, un ensemble de recommandation sur les droits humains en matière d’orientation sexuelle et d’identité de genre. Ces principes recommandent aux pays d’adopter des lois anti-discrimination, notamment pour les personnes trans et qui recommande aussi de « Prendre toutes les dispositions législatives et administratives, ainsi que toute autre mesure, nécessaires pour assurer l’existence de procédures par lesquelles tous les documents émis par l’Etat indiquant l’identité de genre d’une personne – y compris les certificats de naissance, les passeports, les registres électoraux et d’autres documents – reflètent l’identité de genre profonde telle que définie par chacun pour soi-même ». Malheureusement, la France n’est pas signataires de ces principes. En 2009, le commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Thomas Hammarberg publie « Droit de l’Homme et identité de genre », encore une fois, c’est un ensemble de recommandations, par exemple il recommande d’ « instaurer des procédures rapides et transparentes de changement de nom et de sexe sur les extraits d’acte de naissance, cartes d’identité, passeports, diplômes et autres documents officiels ». Il dénonce aussi dans cet ouvrage les expertises judiciaires françaises. Le 29 avril 2010, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe adopte la résolution 1728 qui recommande aux états membres de : « garantir dans la législation et la pratique les droits de ces personnes [trans] : à des documents officiels reflétant l’identité de genre choisie, sans obligation préalable de subir une stérilisation ou d’autres procédures médicales comme une opération de conversion sexuelle ou une thérapie hormonale ». Le 28 septembre 2011, le Parlement européen adopte une résolution sur les droits de l’Homme, l’orientation sexuelle et l’identité de genre aux Nations unies, où il « regrette que les droits des personnes […] transgenres ne soient pas toujours pleinement respectés au sein de l’Union, y compris le droit à l’intégrité physique ». Le 1er février 2013, le rapporteur spécial Juan E. Méndez publie un rapport à l’Assemblée Générale des Nations Unies, et appelle les états « to repeal any law allowing intrusive and irreversible treatments, including forced genital-normalizing surgery, involuntary sterilization, unethical experimentation, medical display, “reparative therapies” or “conversion therapies”, when enforced or administered without the free and informed consent of the person concerned. He also calls upon them to outlaw forced or coerced sterilization in all circumstances and provide special protection to individuals belonging to marginalized groups ». Enfin le 22 avril 2015, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe adopte la résolution 2048 qui appelle les états membres à : « instaurer des procédures rapides, transparentes et accessibles, fondées sur l’autodétermination, qui permettent aux personnes transgenres de changer de nom et de sexe sur les certificats de naissance, les cartes d’identité, les passeports, les diplômes et autres documents similaires ».

De toutes ces recommandations internationales, il faut remarquer une évolution, il y a dans un premier temps un appel à permettre aux personnes trans la possibilité d’obtenir un CEC, puis un appel à arrêter les stérilisations des personnes trans et ensuite un appel à des procédures de changement d’état civil qui soit transparentes et fondées sur l’autodétermination.

A cela il faut aussi ajouter la pression continue d’Amnesty Internationale, de Ilga Europe et de TGEU.

Un contexte français très pauvre

Notons que le 11 juillet 1975, Henri Caillavet a tenté, par l’intermédiaire d’une proposition de loi, de protéger légalement les personnes trans. Bien évidemment, sa proposition de loi n’aboutira pas. Il faudra attendre le 15 septembre 2008 pour que la HALDE publie une délibération où elle recommande au Gouvernement : « de mettre en place un dispositif réglementaire ou législatif permettant de tenir compte, durant la phase de conversion sexuelle, de l’adéquation entre l’apparence physique de la personne transsexuelle et l’identité inscrite sur les pièces d’identité, les documents administratifs ou toutes pièces officielles, afin d’assurer notamment le droit au respect de la vie privée […] et également le principe de non-discrimination ». Il y a eu le 8 février 2010 le décret de fausse dépsychiatrisation de Mme Bachelot-Narquin, alors ministre de la santé. Il y a eu la loi du 6 août 2012 sur le harcèlement sexuel qui ajoute, par l’intermédiaire d’un amendement, « l’identité sexuelle » comme motif de discrimination. Enfin, le 27 juin 2013, l’avis de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) sur l’identité de genre et sur le changement de la mention du sexe à l’état civil où elle recommande un CEC totalement démédicalisé et partiellement déjudiciarisé.

L’occasion

Nous pouvons observer qu’aussi bien au niveau des associations françaises qu’internationales et des institutions françaises et internationales, il y a une convergence pour pousser vers un CEC démédicalisé et déjudiciarisé, ce qui est depuis 2011 la revendication principale des associations trans françaises. Il faudra noter que cette revendication se décline différemment selon deux groupes d’associations, d’un côté, la revendication est un « CEC démédicalisé et déjudiciarisé » et de l’autre c’est un « CEC libre et gratuit », ce qui sera la source de désaccords au sein des associations.

Au final quel est l’événement déclencheur, celui qui a permis qu’une telle réforme se réalise ? Ce n’est là que mon opinion, je pense sincèrement que ce sont les 3 dossiers de CEC à la CEDH qui ont permis cette réforme.

Le 25 mars 2015, la CEDH déclare 3 dossiers français de CEC recevables et pose au Gouvernement une série de questions très orientées pour déterminer si l’ « irréversibilité » de la jurisprudence française implique la stérilisation des personnes trans. Il faut aussi recontextualiser la recevabilité de ces dossiers avec la condamnation de la Turquie sur un dossier trans le 10 mars 2015 où la CEDH fait comprendre qu’elle condamnera les exigences de stérilisations des personnes trans et combiné à la condamnation de l’Allemagne en 2003 dans l’affaire Van Kuck, la CEDH défend le droit à l’autodétermination et précise que ce droit est protégé par l’article 8 de la Convention.

Il est, désormais, plus que probable que la France se fera condamner, la question reste de savoir quand et dans quelles mesures.

La mobilisation associative, de ses allié-e-s et des parlementaires

Après l’enregistrement de la proposition de loi (PPL) du 29 septembre 2015, les député-e-s Pascale Crozon et Erwann Binet auditionnent les associations afin d’avoir leurs avis sur la PPL. Suite aux auditions, les associations publient unitairement un argumentaire en revendiquant une procédure de CEC démédicalisée et déjudiciarisée auprès de l’officier d’état civil, mais reconnaissent toutes que c’est une bonne base sur laquelle il est possible de travailler.

Il y a eu les attentats terroristes et le travail parlementaire s’est arrêté net. Il faudra attendre le printemps 2016 pour que les député-e-s reviennent à la charge en nous proposant de faire un amendement qui reprendrait la PPL dont ils sont à l’origine dans le projet de loi (PJL) Egalité et Citoyenneté (PJL EC). Cependant ce serait un cavalier législatif et il est fort probable que cet amendement soit retoqué par le Conseil Constitutionnel.

Lors de la commission des lois du PJL de modernisation de la justice du XXIème siècle (PJL J21) le 4 mai 2016 de la première lecture à l’Assemblée Nationale (AN), le député Sergio Coronado dépose un amendement visant à démédicaliser et déjudiciariser le CEC. Les député-e-s Pascale Crozon et Erwann Binet proposent à Sergio Coronado de l’associer à leur travail tout en rejetant son amendement mais en défendant l’idée de légiférer sur le CEC, ce qui n’est pas du tout à l’ordre du jour du Gouvernement. Pour cela, Pascale Crozon se sert de ses visites au Conseil de l’Europe pour faire un coup de bluff et se sert des 3 dossiers de CEC qui sont à la CEDH comme argument pour faire pression en précisant qu’elle a eu la confirmation que la France allait se faire condamner et que donc c’était le bon moment pour légiférer sur le CEC. La condamnation devant intervenir vers fin juin, début juillet 2016.

Nous apprenons par l’intermédiaire des échanges qui s’est tenus lors de la commission des lois que les député-e-s socialistes veulent appliquer la possession d’état au CEC. Acthe publie un contre argumentaire à la possession d’état le 11 mai 2016.

Les associations découvrent le jour suivant l’amendement 282 proposé par les député-e-s socialistes. Suite à cet amendement qui propose une déjudiciarisation partielle mais pas de démédicalisation, les associations trans ainsi que leurs soutiens respectifs se divisent en deux groupes. Les associations qui acceptent un compromis et les autres qui veulent leur revendication « CEC libre et gratuit » sans aucune négociation. Le premier groupe, dont Acthe fait partie publie un communiqué de presse pour soutenir l’amendement avec le titre : « Changement d’état civil des personnes trans, vers une victoire à la Pyrrhus ». Cette prise de position va valoir pour le groupe qui a soutenu cet amendement d’être considéré comme des « traitres » et des « vendu-e-s au PS (Parti Socialiste) » par l’autre groupe d’association. Les associations qui sont contre l’amendement publie de leur côté leur propre communiqué de presse.

Malgré le faible soutien à cet amendement et les critiques qui lui sont faites, le Gouvernement décide que la procédure proposée par cet amendement n’est pas suffisamment contraignante et vient, lors de la séance plénière de la première lecture à l’AN déposer 3 sous amendements et forcent les député-e-s à les adopter, autrement le Gouvernement sera contre une telle réforme. De mauvaise grâce les député-e-s votent les sous amendements du Gouvernement ce qui provoque la colère de l’unanimité des associations trans et de leurs soutiens. Le groupe d’association dont fait partie Acthe publie un communiqué de presse intitulé : « Changement d’état civil : le Gouvernement anéantit les droits des personnes trans ». En effet, la procédure proposée par le Gouvernement ne fait qu’entériner la situation jurisprudentielle actuelle que l’ensemble du tissu associatif dénonce avec force depuis des années et pour laquelle 3 dossiers de CEC sont actuellement à la CEDH.

Pendant plus d’un mois, les associations vont se consacrer à démontrer aux député-e-s, qui semblent ne pas vouloir comprendre le problème, que la procédure telle qu’elle a été votée est inacceptable. (Je pense, que les député-e-s, même s’ils et elles n’étaient pas convaincu-e-s au début, ont rapidement changé d’avis mais ont continué à faire semblant de ne pas comprendre pour forcer les associations à développer leur argumentaire.)

Cela commence par un échange de tribune dans divers médias, où Erwann Binet défend les sous amendements du Gouvernement et en la qualifiant de « révolution ». Sophie Lichten publie, au nom du collectif informel qui s’est formé autour des associations trans, une tribune qui appelle à respecter « les droits des personnes transgenres ». Les associations internationales, Ilga Europe, TGEU et Amnesty Internationale dénoncent, elles aussi, les sous amendements du Gouvernement. Par chance et par engagement associatif, une des administratrices d’Acthe représente l’Inter-LGBT auprès de la CNCDH. Ainsi nous interpellons rapidement la CNCDH qui publie un communiqué de presse rappelant son avis de 2013 qui est en faveur d’un CEC démédicalisé et partiellement déjudiciarisé. La CNCDH envoie aussi une lettre aux député-e-s afin d’attirer leur attention sur les problèmes que peut poser la procédure adoptée avec les sous amendements du Gouvernement. Sur la sollicitation d’Ilga Europe, Nils Muižnieks, l’actuel commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe appelle les parlementaires à prendre en compte les inquiétudes exprimées par la CNCDH et fait un rappel aux droits de l’Homme.

Les député-e-s, Erwann Binet et Pascale Crozon ré-auditionnent les associations suite à leur refus massif de la nouvelle procédure pour le CEC. Le Sénat qui devra étudier le texte dans le cadre de la navette parlementaire audition aussi les associations et Acthe publie une lettre ouverte qui, en réalité, est une analyse de la procédure de CEC avec les trois sous amendements gouvernementaux.

En parallèle, Acthe, membre de l’Inter-LGBT qui organise tous les ans la Marche des Fiertés, propose et défend farouchement, un mot d’ordre pour la Marche des Fiertés LGBT de Paris (la Gay Pride) qui aura lieu le 2 juillet 2016 : « Les droits des personnes trans sont une urgence. Stérilisations forcée, agressions, précarité : stop ». De façon assez paradoxale, les autres associations trans et autres associations LGBT ne semblent pas favorable à un mot d’ordre trans pour la Marche des Fiertés LGBT de Paris en raison de conflit inter-associatif. Malgré cela, le mot d’ordre est adopté.

Parce que la chance fait aussi partie de la vie, le Défenseur des Droits qui avait auditionné des associations en 2015 publie enfin sa décision cadre, le 24 juin 2016, qui recommande un CEC démédicalisé et déjudiciarisé auprès de l’officier d’état civil et ajoute que c’est le seul moyen d’éviter les discriminations, lors de la procédure de CEC, envers les personnes trans. Cette décision cadre, très précise sur l’actualité, apparait de façon un peu miraculeuse au bon moment.

Le 30 juin, quelques jours avant la Marche des Fiertés, le président de la République reçoit l’Inter-LGBT, SOS Homophobie et le Centre LGBT Paris-Ile-de-France. De cette rencontre l’Elysée publiera un communiqué de presse où il sera précisé que : « S’agissant des personnes trans, le projet de loi « Justice du XXIème siècle » comprend des avancées permettant la simplification du changement d’état civil en mettant fin à la médicalisation de leurs parcours de transition et à leur stérilisation forcée. Il sera encore amélioré à l’Assemblée nationale ». Le président dit que cette avancée interviendra avant la condamnation de la France par la CEDH sur les 3 dossiers en cours.

Nous venons, en une réunion, de gagner la démédicalisation de la procédure pour le CEC. En revanche ce n’est pas le cas de la déjudiciarisation comme nous allons le voir.

Les député-e-s, finalement convaincu-e-s par la réponse associative et institutionnelle déposent des amendements pour la commission des lois lors de la nouvelle lecture à l’AN, après l’échec de la commission mixte paritaire, visant à démédicaliser la procédure de CEC avant même qu’ait eu lieu la réunion à l’Elysée entre les associations LGBT et le président de la République. Les député-e-s réussissent à convaincre leur groupe parlementaire et obtiennent aussi le soutien des rapporteurs de la loi à l’AN. Leurs amendements sont adoptés en commission des lois.

Suite à cela, le 5 juillet, après la Marche des Fiertés LGBT de Paris qui a eu des retours jusque dans la presse internationale, le ministère de la Justice reçoit Acthe, Outrans, l’ANT, l’Inter-LGBT, le Centre LGBT et SOS Homophobie. Acthe propose d’autres amendements afin d’améliorer encore le texte du PJL J21. Après une discussion passionnée au ministère, nous parvenons à convaincre le cabinet du ministre d’adopter tous nos amendements sauf celui qui vise à déjudiciariser la procédure de CEC. Nous faisons dans la foulée un communiqué de presse afin de rendre ces négociations publiques le lendemain, le 6 juillet. Le 8 juillet nous découvrons les amendements proposés par les député-e-s, qui sont ceux que nous avions négociés au ministère de la justice, ainsi que les amendements du Gouvernement et nous publions une lettre ouverte le 10 juillet afin de faire part au Gouvernement et aux député-e-s quels sont les amendements que nous soutenons.

Le 12 juillet 2016, lors de la séance plénière en nouvelle lecture à l’AN, les député-e-s adoptent presque tous les amendements que nous soutenons, certains contre l’avis du Gouvernement. Malgré nos revendications et la pression associative, les député-e-s n’adopteront pas les amendements qui visent à déjudiciariser la procédure de CEC et l’amendement qui vise à ouvrir le CEC aux personnes mineures non émancipées.

Malgré cela, je considère que c’est une « grande victoire », nous venons d’obtenir le CEC démédicalisé. Bien qu’il ne soit pas déjudiciarisé, le juge doit apprécier que deux critères sociaux dont les preuves seront difficilement réfutables. Suite à notre communiqué de presse du 12 juillet pour signifier cette avancée, les autres associations trans refusent de considérer cela comme une victoire et continue de refuser cette nouvelle procédure et militent pour le « CEC libre et gratuit » ce qu’elles feront savoir par leur propre communiqué de presse. L’animosité entre les deux groupes d’associations est élevée. Les retours presse sur cette nouvelle disposition dans le Code Civil sont importants.

Tentative pour déjudiciariser la procédure de CEC et l’ouvrir aux mineur-e-s non émancipé-e-s

Par un jeu constitutionnel, il est encore possible de faire évoluer le texte, cependant, nous avons d’ores et déjà la garantie que cette procédure comportera aura moins ce que nous venons d’obtenir. Toutes les démarches à venir sont des tentatives afin d’obtenir encore plus de revendications.

Sachant cela et combiné aux vacances estivales, cela entrainera un désengagement associatif certain. Nous serons alors le seul groupe d’association à tenter quelque chose pour obtenir la déjudiciarisation du CEC au Sénat qui est réputé plus conservateur, pour ne pas dire hostile.

Nous parvenons à convaincre les sénateurs et sénatrices du PCF, d’EELV et Chantal Jouanno ainsi qu’Olivier Cadic pour l’UDI de déposer un amendement que nous avons rédigé qui déjudiciarise le CEC et qui l’ouvre à toutes les personnes mineures. Nous parvenons à convaincre le groupe socialiste de déposer un amendement qui vise à ouvrir la procédure de CEC aux personnes mineures à partir de 16 ans avec l’autorisation de ses parents. Sans surprise le Sénat retoque tous ces amendements et la majorité LR-UDI va même défaire le travail que nous avons réalisé jusqu’à présent, en faisant adopter des amendements qui rendent la procédure de CEC pire que l’actuelle situation jurisprudentielle.

Heureusement, l’AN a le dernier mot et réinstaure la procédure du 12 juillet, le 12 octobre 2016.

Suite à cela, nous avons envoyé un ultime communiqué de presse sur cette bataille du CEC intitulé : « Changement d’état civil : un grand pas pour les transidentités ».

Conclusion



C’est la convergence de plusieurs acteurs, dans un contexte particulier qui a permis la réforme du CEC. J’ai passé sous silence la participation de nos allié-e-s, je tiens à mentionner Magaly Lhotel, avocate à la cour d’appel de Paris, ainsi que Philippe Reigné, professeur de droit au CNAM, qui sans faille ont aidé et conseillé les associations trans et leur ont fait bénéficier de leur expertise en droit.

Je tiens aussi à souligner que le dossier du CEC est, pour les parlementaires, un suicide politique, c’est un dossier qui n’apporte rien sauf des ennuis, mais c’est un dossier de droits humains. Les parlementaires qui se sont saisis de ce dossier l’ont fait, selon moi, par conviction et non par opportunisme politique. Ils devaient, pour faire passer la réforme, convaincre leur groupe parlementaire et surtout le Gouvernement qui s’est montré assez hostile pendant tous les échanges parlementaires.

Malgré les divergences entre les associations, je pense que c’est l’ensemble du tissu associatif qui a permis de faire bouger des positions bien / trop figées de politicien-ne-s qui ne connaissent rien aux discriminations dont font face les personnes trans. Nous avons gagné une bataille, mais la lutte pour l’égalité réelle continue.

Sun Hee YOON pour Acthé le 20 octobre 2016


Retrouver toute la chronologie du projet de loi Justice du XXIème siècle ici.